lundi 1 juin 2015

La France sous anesthésie ...

Dans son édition du 15 mars 1968, Le Monde publiait un article devenu célèbre, (« Quand la France s'ennuie... » ), dans lequel le journaliste Pierre Viansson-Ponté constatait que, dans la société française, « on s’ennuyait ». Quelques jours plus tard, commençaient des événements qui allaient totalement bouleverser les mœurs et les institutions du pays.

Sommes-nous à la veille d'une semblable période de l'histoire de la France et de l'Europe tout entière qui transformerait et nos modes de vie et l'organisation même des pouvoirs publics ? Rien ne le donne à penser si l'on s'en tient à l'état léthargique de notre vieux continent. Et pourtant !

La France ne s'ennuie pas ; elle s'endort. Ou, plus exactement, on l'endort et elle s'anesthésie. D'autres États voisins, reçoivent également, du reste, par les médias, les mêmes somnifères et narcotiques stupéfiants !

Dans un article, « Décortiquer la crise démocratique », publié par Médiapart, le 29 mai 20151, Fabien Escalona fait l'analyse détaillée de la situation de blocage dans lequel se trouvent placées la France et l'Europe. Il donne, en effet, à penser que non seulement les citoyens sont endormis mais qu'ils sont paralysés, anesthésiés par de multiples drogues au premier rang desquelles se trouve la démocratie atteinte par la corruption et la dégradation de ses institutions, voire de ses agents !

L'auteur de ce document propose des références multiples d'écrits convergents qui fondent cette formule : « les craquements sous la surface se multiplient, mais le séisme ne se produit pas ». Autrement dit, nous sommes entrés dans une période où va surgir l'inconnu, car la globalisation de l'économie a engendré une situation instable, intenable, dont la rupture est inévitable. Le volcan sur lequel repose le capitalisme occidental, étendu à deux géants orientaux, est endormi mais explosera. C'est la même la conviction, mais autrement argumentée, plus écologique et pragmatique, que Pablo Servigne & Raphaël Stevens expriment dans leur livre2 consacré à la « collapsologie » (un néologisme utilisé pour identifier l'étude de l’effondrement de la société thermo-industrielle).

Les leçons de mai 1968 ont été enregistrées par ceux qui ne veulent plus perdre le contrôle de leurs pouvoirs économiques et politiques. Pour éviter toute « rechute » dans l'imprévisible, les têtes pensantes de la société libérale, ont conçu et installé des pratiques de la démocratie qui se retournent contre la démocratie elle-même. Ali Kebir interroge, dans un livre concis3, la tolérance des citoyens à l'égard de cette démocratie dévoyée. À le lire, on se demande, avec le philosophe Tony Ferri4 : «  d’où vient le fait que les citoyens admettent aujourd’hui la démocratie sinon comme le bien politique suprême, du moins comme un régime quasi incontestable et presque naturel, alors même qu’elle véhicule des technologies de pouvoir et qu’elle est le résultat de relations complexes (sociales, politiques, historiques, culturelles) autour desquelles gravite l’enjeu majeur de la reconduction, de la conservation, de la perpétuation de la domination d’un groupe (les puissants, les décideurs, les possédants) sur d’autres groupes (les sujets ou « assujettis » démocratiques, les dominés) ».

Nous vivons, dès lors, une douloureuse certitude : d'une part, « ça ne peut plus continuer comme ça ! » mais, d'autre part, on ne sait ni quand ni comment va s'enclencher cette néo-révolution, d'un nouveau type, n'ayant rien à voir avec les précédentes, et qui modifiera - mais à quel prix ? - les relations humaines. Les motifs d'inquiétude s'alourdissent sans que l'on sache par quel voie vont s'avancer soit les catastrophes, soit les bouleversements positifs.

Ainsi la COP21, en France, en décembre 2015, va-t-elle mobiliser l'attention des plus conscients des humains et nul ne sait jusqu'où ira ce mouvement d'opinion. Mais, au niveau des dirigeants des États, cette conférence ne peut qu'échouer puisque ceux qui la préparent sont ceux qui sont la cause du désastre climatique. Et il y a pire : dans notre pays, champion du nucléaire, d'aucuns voudraient nous convaincre que, pour limiter le réchauffement de la planète à +2°, « il faut favoriser le financement des énergies bas-carbone, et parmi elles, le nucléaire ». Sombrent aussitôt dans l'oubli les risques immenses de l'élimination des déchets, les impossibilités de démantèlement des centrales, le lien avec la prolifération de l'armement nucléaire, etc... C'est un mauvais rêve !

Mais ce n'est pas tout : comment avons-nous pu oublier que seulement 1% de l'eau sur terre est potable ? Que 2% sont gelés ? Que le reste est de l’eau salée contenue dans les mers et les océans ? Ou que les débits, lors des périodes estivales, pourraient diminuer de 80% en Europe centrale, de l’Est, et du Sud, au cours des 50 prochaines années ? Le manque d'eau potable s'annonce comme le risque global principal dans une large partie du monde pouvant engendrer de nouvelles et monstrueuses guerres. Voici un autre mauvais rêve !

Il n'y a vraiment pas de quoi s'ennuyer et s'endormir, en France, où l'étroitesse de son territoire et la perméabilité de ses frontières, terrestres et maritimes, ruine toute politique à caractère autarcique et nationaliste. L'enfermement dans des idéologies d'État-nations retarde l'inéluctable mais elles n'empêcheront pas que l'Europe soit d'autant plus visitée qu'elle est un îlot de richesse relative dans un monde où toujours plus d'humains manquent de revenus, subissent d'affreuses sécheresses et craignent les violences de ceux qui les transforment en marchandises.

Que la France s'endorme est certes un péril mais, à l'évidence, c'est un regard global, les yeux tout grand ouverts, que l'ensemble des citoyens, devenus peu à peu, à leur insu mais de fait, des citoyens du monde, ont à porter sur cette planète limitée, dont ils ne peuvent encore sortir et où les frontières des États ne sont plus infranchissables.

La maîtrise de eau, de l'atome, du climat et des migrations internationales est au tout premier rang des préoccupations de chacun mais elle ne semble pas celles de nos représentants, dès lors de moins en moins représentatifs. Le temps de la délégation aux experts, aux élites et aux dotés tire à sa fin. Nous sommes tous directement concernés. La montée de la démographie, la facilitation de la circulation des peuples, l'explosion de la communication par internet et par téléphone ont modifié les rapports des vivants entre eux.

Là s'installe la politique, désormais. C'est de notre vie qu'il s'agit.

 Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

 
1   http://www.mediapart.fr/journal/france/290515/decortiquer-la-crise-democratique
2   Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Le Seuil, 19 €.
3  Ali Kebir, Sortir de la démocratie, L'Harmattan, 2015.
4  Tony Ferry, le 10 mars 2015, dans : http://ici-et-ailleurs.org/spip.php?article484

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