samedi 27 décembre 2014

Le leurre de la croissance


Depuis des années, les gouvernements successifs ont promis aux Français l'inversion de la courbe du chômage. Pourtant, en novembre 2014, 27 400 nouveaux demandeurs d'emploi se sont ajoutés aux listes de Pôle Emploi. Le nombre total de chômeurs de catégorie A1 est, à ce jour, de 3 488 300, soit près de 10 % de la population salariée avec, pour conséquence, une modification sensible de la structure de l'emploi avec, notamment, une augmentation spectaculaire des contrats à durée déterminée (CDD)2.

Nos dirigeants s'entêtent à vouloir nous faire croire que seule la croissance économique nous sortira de la spirale descendante et nous permettra de faire baisser le chômage.

Il est temps, comme le propose Serge Latouche de « renverser nos manières de pensée »3. Qu'est-ce que cette croissance, jugée un temps nécessaire, et qui disparaîtrait, comme par malchance, entraînant nos sociétés dans une régression estimée inévitable ? Entre l'austérité sans croissance et « la prospérité sans croissance »4, il faut choisir. La mutation ne pourra s'opérer sans une rupture car plusieurs analyses prouvent que le mythe de la croissance n'est qu'une affabulation.

La Loi d'Okun5, à laquelle se réfèrent les économistes, établit une relation entre le taux de croissance (calculé d'après le PIB) et la variation du taux de chômage. Elle énonce qu'il faut une croissance supérieure à 3%, en moyenne, pour faire baisser le chômage. Dans notre pays, compte tenu des hausses de productivité, de la démographie et de la baisse de la durée du travail, il faudrait que la croissance du PIB soit supérieure à 1,9% pour que la courbe du chômage s'inverse de manière durable. On est loin de cette progression ... Le chômage est donc chronique et l'utopie du plein emploi a bel et bien vécu.

Les thuriféraires du capitalisme, inventeurs de la « crise économique », ne veulent surtout pas du retour de la croissance dont ils n'ont que faire pour maintenir et augmenter les profits. Le niveau zéro de la croissance économique, qui engendre un profond pessimisme, une désespérance en l'avenir et une paralysie revendicative, permet d'asseoir la domination des puissances d'argent sur l'ensemble de la société.

L'argument de la crise sans fin sert d'alibi pour :
  • faire pression sur les salaires,
  • assécher les caisses d'assurances chômage, de la sécurité sociale et de l'assurance vieillesse pour les remplacer par des institutions privées génératrices de profits,
  • détricoter les accords salariaux avec l'assentiment des gouvernants, (la future loi « Macron » en est l'exemple le plus caricatural, avec le retour sur les 35 heures, les attaques contre la justice prud’homale, l'affaiblissement des syndicats, etc …)
  • remplacer la main d'œuvre humaine par des systèmes automatisés et des robots, (un robot ne se plaint jamais, travaille 24 h sur 24, ne prend jamais de vacances, n'attend pas d'enfants, ne tombe pas malade et ne fait jamais grève).
  • faire croire, grâce à la servilité des médias qui appartiennent aux détenteurs du capital, qu'il n'y a pas d'alternatives.

L'absence de croissance est donc devenu le plus sûr moyen, pour l’oligarchie dominante, de continuer à s'enrichir sans scrupule et de manière éhontée, à engendrer un nouveau prolétariat et à creuser un abîme entre les classes. Car il s'agit bien, comme l'a dit Warren Buffet6 dans une interview, d’une lutte des classes en précisant : « c’est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre et c’est elle qui est en train de la remporter » !

Warren Buffet est bien présomptueux et trop sûr de son fait, car si sa classe est actuellement dominatrice, nous ne sommes pas, contrairement à l'affirmation de Francis Fukuyama, à la fin de l'histoire, si tant est qu'il y ait une fin à l'histoire !

Comme toujours, au cours de cette histoire humaine, il est probable que le vent tournera. On ne peut acculer continuellement l'homme à la désespérance sans qu'il réagisse. Malheureusement, la révolution, car s'en est une, peut se produire de manière très violente, et les souffrances n'atteindront pas que les responsables de ce désastre économique et humain.

1  Les différentes catégories selon l'INSEE - http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/categor-demandes-emploi-anpe.htm
http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20140724trib000841494/76-le-nombre-d-embauches-en-cdd-a-explose-entre-2000-et-2012.html
3  Serge Latouche, Renverser nos manières de penser, métanoïa pour le temps présent, Mille et une Nuits, 2014.
Tim Jackson, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable,Bruxelles, De Boeck, 2010.
http://www.andlil.com/la-loi-dokun-6078.html
En 2012, il est considéré comme le quatrième individu le plus riche du monde.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

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