mercredi 11 décembre 2013

Impasse en Centrafrique.



Deux jeunes soldats français ont été, aussitôt arrivés, aussitôt tués. La précipitation du Gouvernement français pour intervenir à Bangui n’a pas fait reculer la violence. Répondre à la violence par la violence ne fait pas nécessairement reculer la violence, en Afrique comme ailleurs.

Quels constats font les citoyens français avec les informations dont ils disposent (car tout ne leur est pas dit !) ? Quelles questions se posent-ils ?

1 – La France est isolée. Son action militaire n’est pas accompagnée. Ni par les autres États de l’Union européenne, ni par les USA, ni par d’autres grandes puissances. Pourquoi ?

2 – Le mandat de l’ONU est un blanc-seing, pas un engagement international aux côtés de la France, avec troupes, matériel et financements. La France peut-elle, dans la situation économique qu’elle connaît, supporter ce fardeau ?

3 – Voici une troisième action armée de la France en Afrique : après la Libye, le Mali, maintenant la République Centrafricaine. Il s’en est fallu de peu que la France ne soit engagée en Syrie. En à peine plus de deux ans, et quelle que soit la majorité présidentielle, les interventions armées extérieures des troupes françaises se sont multipliées en Afrique. Pourquoi ?

4 – L’argument humanitaire, constamment employé dans les quatre cas précités, pourrait être, hélas, sans difficulté, utilisé ailleurs. Faut-il que la France intervienne militairement partout où il y a violation brutale des droits de l’homme ?

5 – La « Françafrique », celle des territoires africains francophones, est-elle vraiment, à présent, en recul, voire disparue, comme le soutient le Gouvernement français, au profit des gouvernements locaux légitimes ayant sollicité le soutien de la France ?

6 – Nous restons, pour quelque temps encore, présents en Afghanistan. La France ne risque-t-elle pas d'être vue par les peuples du monde comme un auxiliaire des États-Unis, engagé, en divers lieux stratégiques, dans des conflits tendant, d'abord, à s’opposer au développement de l’influence islamiste ?

7- Les intérêts économiques de l’occident sont engagés (ceux du pétrole, des minéraux, de l'uranium notamment...). Les raisons principales ou concomitantes qui fondent les interventions françaises ne sont-elles pas très liées à la volonté de protéger, et d’élargir, des ressources auxquelles nos grandes entreprises ont, ou pourraient, avoir accès ?

8 – Les anthropologues informés font observer que les conflits en Afrique ne sont pas nécessairement religieux. En Centrafrique, chrétiens et musulmans cohabitaient. Pourquoi insiste-t-on autant aujourd’hui, sur une opposition religieuse au lieu d’aider les responsables catholiques et musulmans qui veulent, ensemble, apaiser les conflits ? N’exacerbe-t-on pas les haines entre populations entraînées dans l’engrenage des exactions suivies de vengeances ?

9 – L’argument « ethnique » qu’emploient aussi des commentateurs, influents mais peu compétents, s’applique-t-il, en l’occurrence à la Centrafrique ? Les luttes d’influence, pour le pouvoir ou l’enrichissement, existent partout. Ont-elles besoin d’explications pseudo ethnologiques (quand elles ne sont pas racistes !) ?

10 – La Centrafrique est plus vaste que la France et peu peuplée. La forêt y gagne sur la savane. Les routes n’y sont plus entretenues. Quel pays voulons nous accompagner vers la paix : un pays occidentalisé où les Blancs reprendraient la main, directement ou indirectement, dont le modèle politique serait une démocratie à notre goût, ou bien un pays dont la population, et donc son État, n’aurait que peu à voir avec nos références françaises, appuyé sur un mode de vie spécifique ?

Toutes ces questions, et d’autres encore, conduisent à douter de la pureté de nos intentions et de la seule motivation humanitaire de notre action militaire ! Voici des années et des années que des conflits autour de la Centrafrique s’y étalent et y diffusent. Une simple consultation de la carte régionale suffit à dresser la liste des États voisins où ont sévi des guerres atroces : du Tchad au Nord, jusqu’à la République démocratique du Congo au sud, en passant par le ou les Soudan à l’est. 

http://www.statistiques-mondiales.com/cartes/centrafrique.gif 

Le réveil français est tardif. Nos mains ne sont pas propres dans cet univers ayant gardé les traces profondes d’un passé colonial dont l’histoire ose encore à peine dire l’horreur, une horreur égale, où pire, que celle des exactions effectivement commises actuellement, mais « choisies et montrées » pour susciter notre légitime épouvante.

Il est contestable que la France, de sa seule initiative et de sa propre autorité, puisse s’autoriser à intervenir, seule, pour conforter  (au Mali) ou défaire (en Centrafrique) des chefs d’État ! Elle ne peut choisir parmi les assassins, bandits et autres tueurs qui encombrent la planète, qui elle va tenir à sa merci ? Quoi qu’on objecte à cet argument, la France est bel et bien entrée dans la peau et l’habit du gendarme de l’Afrique. Ce ne peut être notre rôle international !

Il est d’autres voies à explorer pour lutter en Centrafrique, et ailleurs, contre la violence extrême. Cela passe, (et tant pis si cette évidence est jugée - trop vite - simpliste !), par de nouveaux rapports entre les dominants et les dominés, par la limitation drastique du commerce des armes et par la fin d’un néo-colonialisme redéployé, qui ne dit pas son nom et qui reste générateurs d’appétits et de haines sans fin.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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