dimanche 10 novembre 2013

Extraire l'humanité des logiques de guerre.



Anatole France :   " On croit se battre pour sa patrie et on meurt pour les industriels "
Lettre ouverte à Marcel Cachin, dans le journal l'Humanité du 19 juillet 1922.

L'espèce humaine ne sait pas ce qu'est la paix. La guerre nous semble la manifestation inévitable des rapports de force politiques. A posteriori, une fois passées les années, on découvre qu'il n'est aucune guerre juste car il n'est aucune guerre justifiable face au jugement de l'histoire.

Les commémorations du centenaire de l'entrée dans la première guerre mondiale, nous rappellent ce que nous voulions oublier par peur et par honte : on ne pouvait, entre 1914 et 1918, demander aux humains de payer un tel prix pour aboutir à... rien, sinon à semer les graines d'un autre conflit tout aussi épouvantable, entre 1939 et 1945 ! Hitler était en Belgique, à Messines, en 1915 et il y a connu l'épouvante quotidienne et la banalisation de la violence extrême. C'est là qu'en lui est né le monstre et le désir de vengeance pour l'humiliation subie par les Allemands, qui allaient être vaincus malgré leurs énormes sacrifices.

Tant de savoir, de technique, de courage, de souffrance, de terreur, de travail, d'imagination, de cynisme pour envoyer à la mort des millions d'Européens, c'est devenu impensable et pourtant ce fut une réalité qui a fait douter de tout : de Dieu, des hommes, de l'amour, de la vie même.

Les « six cent cinquante fusillés pour l'exemple » ont été les témoins honnis et pourtant admirables qui, pour certains, - les autres ont subi leur mauvais sort - ont désobéi et donc tenté de résister à la machine infernale. Il a fallu un siècle pour reconnaître que ce n'était pas des traîtres mais le petit nombre de ceux qui, ayant déjà beaucoup donné, n'en pouvant plus, considéraient qu'on les entrainait, au nom du devoir, vers une fin sans espoir et qui disaient : « non, nous n'irons pas plus loin ». Il fallait qu'ils meurent au combat et qu'ils l'acceptent ; ils ne l'ont pas voulu ; on les a, pour cela, fusillés. Ils pouvaient être « contagieux »

Il reste de nombreux citoyens pour estimer que la nation peut sacrifier ses enfants et que l'État est en droit de l'exiger. Il n'est pas d'exemple historique où la guerre ait produit un bien pour le peuple. La bataille de Valmy, admirée dans nos manuels d'histoire, fondatrice de la République, n'a pu empêcher la naissance de l'Empire et la défaite de Waterloo. Qu'on loue encore, aujourd'hui, Bonaparte devenu Napoléon, a de quoi surprendre, tant il causa de meurtrissures à la France et cela montre bien à quel point, depuis des siècles, les logiques de puissances nous imprègnent, lesquelles ne sont que des logiques de guerre et donc des logiques de mort.

On fustige les pacifistes qui se refusent, en toutes circonstances, à prendre les armes. Louis Lecoin, l'anarchiste objecteur de conscience, ne pouvait accepter d'être entrainé vers l'inéluctable. Il le cria et subit de multiples années de prison. Car, estimait-il, pour faire combattre les hommes les uns contre les autres avec des outils, pensés par de savants ingénieurs dans les usines d'armement, des outils qui broient, torturent, asphyxient, bref assassinent, de loin comme de près, il faut que notre conscience ait été anéantie.

La puissance, la sophistication, la quantité des armements, beaucoup plus « performants » que ceux dont les Poilus firent usage, devraient nous glacer d'effroi et donc geler les activités militaires qui causent toujours plus de mal qu'elles ne protègent les innocents. C'est encore nié, mais c'est ainsi. Les sociétés fondées sur la violence, la puissance, la force et la contrainte physique sont intrinsèquement perverses quelles que soient - parfois ! - les bonnes intentions de leurs dirigeants.

L'intelligence n'a jamais bloqué ces perversités. La volonté de puissance (Wille zur Macht), un concept proposé par Friedrich Nietzsche, (et un projet de livre abandonné, à la fin de l'année 1888) est présente au cœur de tout pouvoir et tout y est sacrifié. Faut-il s'y soumettre encore ?

Le piège est tel : longtemps avant qu'un conflit ne soit déclenché, ses causes se préparent, se nourrissent d'ambitions et de mensonges, s'enflent des situations antérieures jamais résolues et, le jour venu, on ne peut faire autrement que... ce qu'il ne faut pas faire.

Un grand esprit se dresse-t-il, alors, devant les fomentateurs de guerre ? On le tue. Ainsi mourut Jaurès, assassiné à Paris, dans le café Le Croissant, le 31 juillet 1914, trois jours seulement avant l'entrée en guerre, le 4 août. Son assassin, Raoul Villain, fut ... acquitté le 29 mars 1919, ce qui est la démonstration même, aussi choquante que surprenante, qu'on n'avait rien voulu comprendre à ce qui avaient été les causes et les conséquences de cette boucherie qui fit neuf millions de morts et vingt millions de blessés.

On peut écrire des livres savants (et le faut, pour l'histoire) au sujet des guerres et de leur place dans les contextes géopolitiques, mais les questions philosophique et politique, liées, priment : « est-ce ainsi que les hommes vivent » écrivait Aragon ; les hommes peuvent-ils vivre autrement doit-on se demander aussi... Et surtout, faudra-t-il longtemps encore que chaque citoyen soit tenu d'obéir à ce qu'il réprouve, au nom du patriotisme et de la République ? Tout semble, à l'approche de 2014, réuni pour pouvoir clairement répondre : non !

Lazare Ponticelli (1897-2008) qui fut le dernier survivant de la guerre 14-18, disait :
« Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous... »

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran



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