jeudi 10 octobre 2013

Les inéluctables.

Ce n'est pas la fin du monde mais c'est la fin d'un monde : ce qui est inéluctable est nié ou caché mais rien n'y fait, nous nous dirigeons vers un autre monde.

Un autre monde est possible chantaient les altermondialistes, mais le monde qui vient n'est peut-être pas celui auquel ils aspiraient !

Le mot fin s'entend soit pour évoquer ce qui s'achève, soit pour indiquer ce que l'on vise comme objectif. Nous avons beaucoup de mal à comprendre et à admettre que ce que nous avions considéré comme promis à un développement infini prenne fin sous nos yeux.

Ainsi, à notre grand dam, la fin du travail salarié est-elle annoncée. Pas la fin du travail puisqu'il n'est pas de société humaine sans activités ! C'est le travail salarié qui décroît inéluctablement puisque nous savons produire de plus en plus avec de moins en moins de main d'œuvre. En outre, à vouloir réduire toujours plus le « coût du travail » tout en augmentant la productivité, les entreprises diminuent le nombre d'emplois et génèrent le chômage perpétuel.

La fin de cette croissance indéfinie qui ne produit plus d'emplois est un phénomène inéluctable, qu'on observe aisément en occident et, de plus en plus, dans les pays dits émergents. Aucun mystère à cela : la mode publicitaire et l'obsolescence programmée ne suffisent plus à retarder la saturation de la consommation. Plus encore la croissance est indispensable seulement là où il y a insuffisance et, surtout, ne pas fixer de limites dans un monde limité est plus qu'insensé, c'est une catastrophe planétaire organisée.

La fin du climat tempéré est, affirme le GIEC, inéluctable. Nous voyons bien les désordres climatiques parfois très meurtriers qui se succèdent (inondations et sécheresses, tempêtes, typhons et tornades, fonte spectaculaire des glaciers polaires ou alpins, montée des eaux salées, canicules et dérèglement des saisons...). À ceux qui objectent que les bouleversements climatiques n'ont jamais cessé au cours des millénaires précédents, il est aisé de répondre qu'au contraire, à ce rythme, en quelques décennies, jamais de telles élévations des températures moyennes ne se sont produites et la flore comme la faune (mammifères, avifaune, ressources halieutiques) s'en trouvent profondément affectées. La cause de cette transformation de nos paysages et de tout notre environnement est connue : c'est l'activité humaine. Les « climatosceptiques » ne peuvent plus le contester sauf par entêtement idéologique.

La fin des ressources énergétiques et métalliques non renouvelables se profile et, avec elle, grandit le risque de conflits internationaux. On ne parle plus du « pic de pétrole » parce que les temps de production d'un pétrole abondant, facilement accessible et bon marché sont derrière nous. Les métaux, surexploités, (y compris l'uranium !) seront au cours du XXIe siècle beaucoup moins disponibles et, pour certains, épuisés. Les

conséquences industrielles de ces manques sont incommensurables et ce n'est ni le gaz de schiste, ni la réouverture des mines de charbon (lequel reste pourtant, lui, abondant) qui suppléeront cet inéluctable recul des ressources que nous avons, en deux siècles, pillé. Quant à l'espoir de voir l'industrie nucléaire compenser la régression énergétique, il est trois fois ruiné : par la démesure des risques accidentels et du volume des déchets dangereux produits à stocker, par la faible part occupée par le nucléaire dans la production mondiale d'électricité, par les conséquences sécuritaires et militaires qu'entraine l'emploi sous surveillance absolue de cette source d'énergie qui finit ou finira par échapper aux contrôles. Bref, vivre dans « le renouvelable » est plus qu'une prudence, c'est une nécessité encore mal appréciée.

La fin des sociétés, enfin, comme le suggère le titre du dernier livre d'Alain Touraine, n'est pas que politique. Elle est produite par la « décomposition du capitalisme industriel », la crise de toutes les institutions, la fragilisation des pouvoirs, le doute qui s'est emparé des citoyens -dont témoigne leur abstention massive- à propos du fonctionnement des démocraties. Il ne s'agit pas, bien sûr, de la fin de toutes les sociétés ! Il s'agit de la fin des sociétés centralisées qui ruine les efforts d'autonomie des habitants de la planète dans les sociétés occidentales autant que dans les dictatures directes ou indirectes nées de la mondialisation que les « grandes puissances » ont voulu et veulent encore instaurer. La fin des sociétés, c'est donc la fin des États-nations comme nous les avons connus, la fin de « l'american way of life », la fin du modèle occidental, la fin de l'ethnocentrisme du Nord. Une mutation de civilisation sans précédent, lente et inéluctable, s'opère. À la rupture qui s'effectue sous nos yeux ne peut que correspondre notre propre rupture idéologique et citoyenne nous libérant de tous les a priori antérieurs devenus obsolètes.

Face à l'inéluctable qui n'est pas tombé du ciel mais qui s'est échappé de nos mains, il nous faut oser repenser la condition humaine, que nous y soyons prêts ou non. Il y va de l'avenir de ceux que nous avons mis au monde.

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

La fin du Monde, c'est vache !

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