dimanche 12 mai 2013

La « stupidité fonctionnelle » à l’origine de la crise financière ?


Mère des gens sans inquiétude
Mère de ceux que l'on dit forts
Mère des saintes habitudes
Princesse des gens sans remords
Salut à toi, dame Bêtise
Toi dont le règne est méconnu...
                              Jacques Brel


Si l'on en croit le site du journal La Tribune, les banques et certaines sociétés de service encourageraient leurs employés à ne pas utiliser toutes leurs capacités intellectuelles. 
 
C'est ce que révèlent une étude des professeurs André Spicer (de la City University de Londres) et Mats Alvesson (de l'Université de Lund, en Suède) ajoutant que ce "management par la stupidité" serait à l'origine de la crise financière que nous traversons. 
 
Dans le but d'écarter les questions gênantes et de supprimer la réflexion avant l'action, cette théorie de la "stupidité fonctionnelle" recommande aux employés : "Ne réfléchissez pas, faites-le".
 
Les auteurs reconnaissent que les banques et les sociétés de services affirment que la compétence est la base de leurs activités, mais ils écrivent dans leur rapport : « Cependant, en y regardant de plus près…, ces entreprises incitent des personnes très intelligentes à ne pas mettre à profit l'ensemble de leurs capacités intellectuelles... Au lieu de cela, les employés sont supposés ne pas trop réfléchir et simplement faire leur travail."


En période de crise, maintenir l'ordre en lobotomisant les salariés pour les empêcher de sortir des sentiers battus, de réfléchir trop longuement aux difficultés et poser des questions gênantes est la formule appliquée par les entreprises. 
 
La Tribune conclut en soulignant à quel point les capacités cognitives des individus sont limitées « dès lors que s'instaurent des relations de pouvoir et de domination au lieu de faire appel aux ressources des individus ».

Déjà en 1931, Robert Mathias Musil, dans un petit livre ayant pour titre De la bêtise écrivait "( la bêtise ) endort la méfiance, désarme" ajoutant "On retrouve quelques traces de ce genre de finauderie dans certains rapports de dépendance où les forces sont à tel point inégales que le plus faible essaie de s'en tirer en se faisant passer pour plus bête qu'il n'est ... le faible qui ne peut pas irrite moins le détenteur du pouvoir que celui qui ne veut pas".

Dans une conférence donnée en 1937, il considérait que la bêtise prend toute son importance dans les moments de crise, comme ceux que l'on traversent aujourd'hui, particulièrement lorsque les épreuves sont trop lourdes ou trop prégnantes et que la bêtise « intelligente » entraîne l'instabilité et la stérilité de la vie de l'esprit.

Les psychologues connaissent bien ces phénomènes de peur qui affaiblissent l'intelligence et qui poussent à remplacer la qualité des actions par la quantité.

Ce qui caractérise ces situations de crise, note les deux auteurs Mats Alvesson et André Spicer dans leur article, c'est le développement d'un mode managérial basé sur la persuasion avec force images et symboles visant à manipuler les troupes dans une seule et même direction pour bloquer l'action. 
 
"Nous voyons la stupidité fonctionnelle comme une absence de réflexion critique. C’est un état d’unité et de consensus qui fait que les employés d’une organisation évitent de questionner les décisions, les structures et les stratégies … paradoxalement, cela permet parfois d’augmenter la productivité au sein d’une organisation". 
 
Certains managers, qui font la promotion de ce management de la stupidité, considèrent que ce mode d’organisation serait favorable à l’ambiance de travail et que l’absence de questionnement critique sur les orientations de l’entreprise rendrait les salariés plus enthousiastes dans leur tâche. 
 

Cette étude donne tout à fait raison à Henri de Régnier qui a écrit : "Un hasard a donné à l'homme l'intelligence. Il en a fait usage : il a inventé la bêtise".


Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux


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