lundi 6 août 2012

La réaction d'Albert Camus au bombardement d'Hiroshima



Nous sommes aujourd'hui le 6 août, dramatique anniversaire de la première utilisation à des fins militaires de l'énergie nucléaire.
Dans les jours qui suivirent le 6 août 1945, l'ensemble du monde se confondit en félicitations, les médias en premier, sur l'ère nouvelle qui s'ouvrait grâce à la technologie américaine.
Il y eu peu de protestation, Albert CAMUS, dans un éditorial du Journal Combat du 8 août, fut l'un des très rares protestataires. Nous reproduisons ci dessous son article.

 

L'article d'Albert Camus


« Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences
d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes, que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d'aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d'idéalisme impénitent, ne songera à s'en étonner.
Ces découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu'elles sont, annoncées au monde pour que l'homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d'une littérature pittoresque ou humoristique, c'est ce qui n'est pas supportable.
Déjà, on ne respirait pas facilement dans ce monde torturé. Voici qu'une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d'être définitive. On offre sans doute à l'humanité sa dernière chance. Et ce peut être après tout le prétexte d'une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.
(...)
Au reste, il est d'autres raisons d'accueillir avec réserve le roman d'anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l'Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu'il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.
Qu'on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d'Hiroshima et par l'effet de l'intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d'une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d'une véritable société internationale où les grandes puissances n'auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l'intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.
Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison. »

Albert Camus, éditorial de « Combat », le 8 août 1945.

Un bombardier B-29, surnommé "Enola Gay"

Entre décembre 1941 et août 1945, le Projet Manhattan va mobiliser 140 000 personnes sous la direction de général Leslie Groves et de son adjoint scientifique, le savant Robert Julius Oppenheimer.
Les composantes de la bombe seront assemblées à Los Alamos au Nouveau Mexique.
En juillet 1945, trois bombes sont prêtes. L'une d'elle, au plutonium, est testée le 16 juillet 1945 à Alamogordo, dans le désert du Nouveau Mexique. Succès complet pour la première explosion nucléaire.
Un ultimatum lancé contre le Japon est rejeté par celui-ci le 28 juillet.
Le 6 août 1945, à Hiroshima, 8 heures 15 du matin, "Little Boy", bombe atomique à l'uranium 235, est lâchée par un bombardier B-29, surnommé "Enola Gay". Elle explose faisant 70'000 morts immédiates et 200'000 morts au total jusqu'à la fin du XXe siècle.
Le 9 août 1945, à Nagasaki, "Fat Man", bombe au plutonium 239, explose faisant 40 000 morts immédiates et 120 000 morts au total jusqu'à la fin du XXe siècle.
A la fin du XXe siècle, 300 000 survivants souffraient encore des séquelles de ces deux explosions.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux



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