mercredi 4 juillet 2012

Changer la société ou changer de société ?



« Le changement, c'est maintenant ». Soit. Mais quel changement ?

Changer la société est un objectif acceptable, s'il s'agit, comme l'annonce le nouveau gouvernement de la France, d'établir (plus que rétablir !) une plus grande justice entre les citoyens et, comme en 1789, d'abolir les privilèges.

Ce n'est pas la première fois que des intentions vertueuses ont été affichées. La société dans laquelle nous vivons absorbe toutes les velléités de changement, les détourne, et nous nous retrouvons, tôt ou tard, sous la domination de ceux qui ne possèdent pas que des revenus indécents et qui exercent sur les serviteurs de l'État des influences décisives.

On objectera qu'en nombre de pays, sur notre étroite planète, on en est encore à chercher comment vivre en société. Changer la société ou changer de société deviendrait, alors, une interrogation d'occidentaux qui ne sont jamais contents de ce qui est à leur portée.

Il est nécessaire d'échapper à toutes ces fausses logiques qui conduisent à la même conclusion : on ne peut changer l'organisation économique et sociale des sociétés modernes qu'à la marge. Depuis que la baronne Hilda, Margaret Thatcher l'a proclamé, nombre de responsables politiques ont admis « qu'il n'y a pas d'alternative ».

There is no alternative (TINA), formule magique depuis trente ans, est devenu un credo libéral auquel aucun parti politique en charge des pouvoirs n'a, jusqu'ici, échappé. C'est ainsi que se vend, actuellement, une doxa à laquelle les victimes de politiques brutales finissent par se résigner : ce sera ou l'austérité ou la ruine ! (étant sous entendu que le refus de l'austérité, de la rigueur, des restrictions, conduisant à l'effondrement économique, il faut ruiner une partie de sa population -évidemment, toujours la même- pour ne pas ruiner le pays) .

Si l'on ne sort de l'épure, si l'on ne prend pas ses distances avec la plupart des discours distillés par les médias, on ne changera pas davantage la société que François Mitterrand et ses ministres n'ont pu « changer la vie », comme l'annonçait le titre du programme du Parti socialiste dans les années 1970.


La peur de l'utopie nous est constamment présente. Il nous est rappelé sans cesse qu'à vouloir le mieux on peut obtenir le pire et la désastreuse expérience soviétique continue de faire figure d'épouvantail géant. Mieux vaudrait un capitalisme régulé qu'un totalitarisme sanglant. Mais la question se pose-t-elle encore ainsi : il n'y aurait de démocratie que là où l'emporte la liberté et la liberté d'entreprendre fait la richesse des États. TINA se porte bien et l'échec politique de Mme Thatcher (elle serait allée trop loin) n'a pas remis en cause la diffusion planétaire de ses idées largement partagées par Donald Reagan et ses successeurs parmi lesquels David Cameron, Nicolas Sarkozy et même Angela Merkel.

Il faudrait à l'Europe une Margaret Thatcher, entend-on dire. Bigre ! L'Europe sociale n'est déjà plus qu'un souvenir et l'Europe libérale, celle que les Français craignaient et repoussaient avec le non au referendum de 2005, est bel et bien installée. Si Europe fédérale il devait y avoir, ce ne serait, actuellement, qu'une centralisation des politiques économiques et nullement le partage des responsabilités politiques entre les 28 États et d'autres encore.

Que penser, alors de ce constat désespérant qui ne peut que conduire, inéluctablement, qu'à une succession de violences. Quand la misère s'étale montent les révoltes. Et puisque que l'on ne changera pas la société ; il faut changer de société. Où est la différence ? Ce n'est pas un mot de deux lettres qui fait penser autrement. Il s'agit de comprendre que dire « changer la société » la pérennise, même si elle peut présenter de nouveaux visages. Dire « changer de société » sous-entend qu'il n'est pas qu'un seul modèle d'organisation politique et surtout que, comme en 1789, (où l'on avait conçu, en France, que la monarchie était devenue obsolète), il est peut-être temps de convenir que la société ultra libérale, inégalitaire et hostile au partage est elle aussi devenue obsoplète.

On objectera encore que ce constat est fait depuis bien longtemps : liberté, égalité, fraternité est devenu une devise dont le contenu a été vidé. La liberté est une valeur désormais confisquée qui ne concerne que les nantis, lesquels exposent leurs richesse et leur pouvoir sans vergogne. Seulement voilà : vivre, bientôt, à neuf milliards sur Terre est impossible sans laïcité, sans partage et sans solidarité, autrement dit sans acceptation de nos diversités, sans juste répartition des biens produits (sans nuire à la planète), et sans un abandon de notre ethnocentrisme occidental.

Voilà qui devient plus délicat : changer la société (occidentale) n'y pourra suffire. Il va falloir nous faire une tête capable d'inventer un changement de société qui nous fait très peur. Faut-il lâcher la proie pour l'ombre ? Nous pouvions, jadis, sourire des « citoyens du monde » qui rêvaient d'une société planétaire unifiée. À présent, sans commettre l'erreur de préconiser un gouvernement mondial (qui ne tarderait pas à rénover le totalitarisme en l'étendant à la planète entière), il ne peut plus être question de voir chaque pays continuer à s'organiser en État-nation coupé du reste du monde.

La démocratie n'est pas plus liée à l'État-nation, qu'elle n'est liée au capitalisme. Vivre en réseaux dans la responsabilité coopérative devient une nécessité vitale. On ne pouvait, par le passé, qu'améliorer la société où nous vivions. Nous découvrons que, sans changer de société, nous nous résignerions à laisser se décomposer l'espèce humaine, trop maltraitée et trop fragilisée. Penser cette nouvelle politique et commencer à la mettre en œuvre avant même d'avoir tout maîtrisé est aussi risqué que de laisser perdurer ce qui nous entraine vers l'échec généralisé.

Résistances et changements se veut un blog où l'on ne craint pas de poser les questions qui dérangent, y compris celles qui nous dérangent nous-mêmes, car nous ne sommes pas à l'abri de l'erreur. Le pire serait de ne vouloir courir aucun risque. Nous prenons celui de dire : il ne faut pas changer la vie ou la société (nul n'a les clefs de l'avenir) mais il faut changer de vie ou de société (ce qui commence tout de suite).


La société de consommation, de domination, d'exploitation n'est pas la nôtre. Que des hommes se livrent à la destruction de tout ce qui fait obstacle à leur pouvoirs, grands ou petits, constitue une réalité qui laisse pantois ceux qui ne croient pas à la méchanceté innée de certains de nos compagnons d'existence. C'est de ce monde de cruauté qu'il faut tenter de sortir. À ceux qui croient cette prétention stupide ou hors de portée, nous répondons : que faire d'autre ?  

Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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