lundi 5 décembre 2011

Française en sursis

Elle est française. On ne lui reconnait pas le droit de l'être administrativement. C'est partie remise. Honte à ceux qui ont de l'identité française une conception fort sélective !

Nous sommes touchés par la réaction (reprise ici) d'un fils insulté par l'insulte que subit sa mère. Nous sommes émus qu'on parle aussi bien de la France, notre pays, dont un ministre se rend indigne. Nous sommes, une fois encore, indignés de l'inhumanité qui peut inonder les pratiques de nos administrations. Nous aussi attendons qu'une autre France se manifeste et redonne des couleurs à ce territoire que nous aimons. Il arrive que la France ne soit plus la France. Cela s'est vu sous Pétain et cela peut, parfois, se reproduire.

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux

"Ma France" chantait Ferrat :

"Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles

Ma France"

Le crachat et le rêve français

Lettre à monsieur le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration

Monsieur le ministre,

La sous-direction de l’accès à la nationalité française du ministère que vous dirigez vient de signifier à madame S. Boujrada, ma mère, le classement de son dossier et un refus d’attribution de nationalité. «Vous ne répondez pas aux critères», est-il écrit dans un courrier sans âme que l’on croirait tout droit sorti de l’étude d’un huissier ou d’un notaire.

Ma mère est arrivée en France en 1984. Il y a donc vingt-huit ans, monsieur le ministre, vingt-huit ans ! Arrivée de Casablanca, elle maîtrisait parfaitement le français depuis son plus jeune âge, son père ayant fait le choix de scolariser ses enfants dans des établissements français de la capitale économique marocaine.

Elle connaissait la France et son histoire, avait lu Sartre et Molière, fredonnait Piaf et Jacques Brel, situait Verdun, Valmy et les plages de Normandie, et faisait, elle, la différence entre Zadig et Voltaire ! Son attachement à notre pays n’a cessé de croître. Elle criait aux buts de Zidane le 12 juillet 1998, pleurait la mort de l’abbé Pierre.

Tout en elle vibrait la France. Tout en elle sentait la France, sans que jamais la flamme de son pays d’origine ne s’éteigne vraiment. Vous ne trouverez trace d’elle dans aucun commissariat, pas plus que dans un tribunal. La seule administration qui pourra vous parler d’elle est le Trésor public qui vous confirmera qu’elle s’acquitte de ses impôts chaque année. Je sais, nous savons, qu’il n’en est pas de même pour les nombreux fraudeurs et autres exilés fiscaux qui, effrayés à l’idée de participer à la solidarité nationale, ont contribué à installer en 2007 le pouvoir que vous incarnez.

La France de ma mère est une France tolérante, quand la vôtre se construit jour après jour sur le rejet de l’autre. Sa France à elle est celle de ces banlieues, dont je suis issu et que votre héros sans allure ni carrure, promettait de passer au Kärcher, puis de redresser grâce à un plan Marshall qui n’aura vu le jour que dans vos intentions. Sa France à elle est celle de l’article 4 de la Constitution du 24 juin 1793 qui précise que «tout homme - j’y ajoute toute femme - (e) et domicilié(e) en France, âgé(e) de 21 ans accomplis, tout(e) étranger(e) âgé(e) de 21 ans accomplis, qui, domicilié(e) en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse un(e) Français(e), ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout(e) étranger(e) enfin, qui sera jugé(e) par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis(e) à l’exercice des droits de citoyen français». La vôtre est celle de ces étudiants étrangers et de ces femmes et hommes que l’on balance dans des avions à destination de pays parfois en guerre.

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ayons du mal à accepter cette décision. Sa brutalité est insupportable. Sa légitimité évidemment contestable. Son fondement, de fait, introuvable. Elle n’est pas seulement un crachat envoyé à la figure de ma mère. Elle est une insulte pour des millions d’individus qui, guidés par un sentiment que vous ne pouvez comprendre, ont traversé mers et océans, parfois au péril de leur vie, pour rejoindre notre pays. Ce sentiment se nomme le rêve français. Vous l’avez transformé en cauchemar.

Malgré tout, monsieur le ministre, nous ne formulerons aucun recours contre la décision de votre administration. Nous vous laissons la responsabilité de l’assumer. Nous vous laissons à vos critères, à votre haine et au déshonneur dans lequel vous plongez toute une nation depuis cinq ans. Nous vous laissons face à votre conscience.

Quand le souffle de la gifle électorale qui se prépare aura balayé vos certitudes, votre arrogance et le système que vous dirigez, ma mère déposera un nouveau dossier.

Je ne vous salue pas, monsieur le ministre.

Par Amine EL KHATMI 23 ans, étudiant en droit (master 2), Français

Source TERRA : http://www.liberation.fr/politiques/01012375069-le-crachat-et-le-reve-francais

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