samedi 26 mars 2011

Le fascisme économique

Dans un de nos blogs sur la généralisation de la surveillance (14.12.2010), nous avons insisté sur la concomitance d’intérêts entre le pouvoir et le secteur marchand.


Pour aller plus loin dans cette réflexion, nous voulons démontrer que les rapports d'intérêts entre le monde politique et les lobbies industrio-financiers sont particulièrement imbriqués et que l'on peut sans exagérer qualifier ce système de "fascisme économique".


Le dénominateur commun à ces deux mondes est l’efficacité.


S’agit-il d’ailleurs de deux mondes ?


Comme pour l’acier damassé servant à la fabrication des épées et des couteaux, l’intrication des sphères d’influence est tellement importante qu’il est impossible de séparer les couches pour retrouver les composants initiaux.


Aujourd’hui, il n’est pas politiquement incorrect d’affirmer que le système économique qui régit le fonctionnement des échanges transnationaux est le capitalisme dans sa forme la plus aboutie, le néolibéralisme.


Dès sa naissance à la fin du moyen âge, ce système a eu pour postulat d’augmenter les profits de façon infinie et par réciprocité de réduire les coûts d’exploitation, en employant d’abord des esclaves, ensuite des machines et en abaissant à leur minimum les coûts variables, en l’occurrence la main d’œuvre, par la diminution du nombre des salariés et/ou des salaires.


Pour revenir à la surveillance et à sa généralisation, il semble difficile de croire que les gouvernements désirent surveiller les citoyens dans le but d’une domination d’idéologie politique. Les gouvernants, courroies de transmission de la sphère industrio-financières, qui ne peut pas encore gouverner seule, ont dans leur dos l’aiguillon du système financier nécessaire au renouvellement de leur mandat et de leur survie pécuniaire, et mettent en place, petits arrangements entre amis, des législations favorisant l’abaissement des coûts collectifs et leur transfert vers des financement privés générateurs de croissance et de profits.


Les dépenses de la sphère publique coûtent, les dépenses de la sphère privée rapportent ; et l’un des éléments prioritaires de l’efficacité du système est la surveillance généralisée et le profilage des citoyens qui permettent de réduire les aléas et les inconnus générateurs de perte et de générer des profits.



De nombreux textes de lois confirment, s’il en était besoin, cette dérive du système politique vers un fascisme économique. Prenons la LOPPSI 2 - Loi d’Orientation et de Programmation de la performance de la Sécurité Intérieure – qui porte, dans son nom même, la stratégie de l’efficacité voulue par le gouvernement. L’idée maîtresse de cette loi fourre-tout est l’obligation de résultat des forces de police - notion stupide et calcul indigent que de décider a priori des résultats du travail des fonctionnaires de police ! - le transfert des fonctions régaliennes de l’État aux collectivités territoriales, en faisant appel au secteur privé, et l’utilisation forcenée des technologies de l’information et de la communication, génératrices, là encore, de croissance et de profits.


La vidéosurveillance est la caricature de ce concept d’efficacité et de performance : la démultiplication de l’œil du surveillant par les yeux multiples des caméras - un seul individu surveillant plusieurs endroits en même temps - Quelle économie, surtout quand cette surveillance est cédée aux polices municipales qui n’émargent pas sur le budget national, économie encore plus substantielle lorsque la surveillance est reportée a posteriori en enregistrant les images sans visionnage instantanée.

Chacun sait que l'intérêt de la vidéosurveillance est nul pour les citoyens en terme de protection, mais pas en terme de profit pour les industriels.


À cela s’ajoute, entre autres :

- La visioconférence pour l’audition des personnes en détention qui ne sortiront plus de l’univers carcéral pour être interrogé à distance par le juge d’instruction. Encore de substantielles économies, au détriment du droit et d’une justice équitable et humaine.

- La proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, toujours la performance et l’efficacité, dite loi Warsmann, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, et qui affirme dans son article 2 que tous les fichiers administratifs seront susceptibles de devenir accessibles à toutes les autres administrations... plus simplement écrit : l’interconnexion de l’ensemble des fichiers administratifs ; ce que SAFARI (1) avait rêvé en 1974.

- Dans l’éducation nationale, mais pas seulement … le livret de compétences qui suivra les individus depuis l’école maternelle jusqu’à la sortie du système scolaire, mais qui permettra aussi le profilage de la personnalité par les entreprises en vue du recrutement.


Faire chuter les coûts salariaux pour augmenter les profits...


Comment, en effet, refuser à un futur employeur la lecture de son livret de compétences ?

Et le détail des compétences est instructif : compétence 1 : langue française, 2 : langue étrangère, 3 : mathématiques, sciences, technologies, 4 : de nouveau langue française, (c’est à partir de la compétence 5 qu’apparaissent des notions plus étonnantes et subjectives), 5 : culture humaniste, 6 : sociales et civiques et 7 autonomie et initiative.

France Télécom ou Renault donneraient chers pour avoir dès maintenant ce journal intime espion à leur disposition au moment du recrutement, l’efficacité y gagnerait encore.


On pourrait rajouter bien d’autres systèmes, le Dossier Médical Personnalisé et le Dossier Pharmaceutique qui permettront, à terme, la modulation du remboursement des frais médicaux en fonction du profil du malade, toujours l’efficacité ! Les dossiers santé et psychiatrique qui, sous prétexte d’améliorer la performance, — lire la diminution des dépenses publiques — des services hospitaliers violent l’intimité des patients et sont la négation d’un travail thérapeutique normal et de qualité.


Arrêtons nous là. La liste est trop longue et désespérante des hypocrisies et des perversités d’une société où les individus sont seulement classés en fonction de leur capacité à générer de l’efficacité productive, c’est à dire du profit.



Les vertus – mot grossier – d’hier, l’honnêteté, le courage, l’abnégation, etc. sont ringardes aujourd’hui. Elles sont remplacées par la culture du meilleur où il faut, pour réussir, tuer son rival. Quel avenir extraordinaire nous est proposé.


Oui, nous ne sommes plus dans une démocratie, mais bien dans une oligarchie où une caste de décideurs cyniques et arrogant (2) s’emploie à développer un fascisme économique particulièrement féroce, sous couvert d’efficacité et de culture du profit, et parce qu’il n’y aurait pas d’autres alternatives.


Ce n’est pas ce chemin que nous voulons voir suivi pour nos concitoyens !


(1) SAFARI : il s'agit d'une base de données imaginée en 1974 par le gouvernement de Georges Pompidou et Jacques Chirac pour rassembler en un seule méga fichier l'ensemble des données personnelles des français. Une ferme réaction citoyenne fit reculer le gouvernement et permis la création de la CNIL et de la loi informatique et libertés de 1978.


(2) Voir le livre bleu du gixel :

http://bigbrotherawards.eu.org/article626.html

Jean-Claude Vitran et Jean-Pierre Dacheux



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