mercredi 2 février 2011

Changement d’ère : l’impossible est devenu crédible.


Ce qui se passe en Tunisie, puis en Égypte bouleverse la donne politique mondiale.


Les pays d’Europe n’en prennent pas suffisamment conscience et, parmi eux, notamment, la France, qui en est restée, jusqu’à il y a peu, à soutenir des dictatures parce que seules capables, croyait-on, de faire obstacle à l’islamisme. On a passé, d’ailleurs, des générations entières à convaincre l’opinion occidentale que mieux valait la dictature que l’islamisme. On a même réussi à enfermer les populations nord-africaines dans une résignation qu’on croyait irréversible. Elles devaient rester soumises à des pouvoirs assis sur la force (celle de l’armée comme celle -indirecte- de la Françafrique ou des puissances financières occidentales).

Il semble que les USA, par la voix de Barak Obama, viennent de faire une analyse et un choix différents : ne pas soutenir les peuples arabes, qui se rebellent contre la dictature sans faire appel à l’intégrisme musulman, serait encourager les ennemis de l’Amérique. Le meilleur moyen de casser, politiquement, Al-Qaïda et ses alliés, consiste, pour la Maison Blanche, à créer, dans le monde arabe, un sentiment de sympathie pour les USA, devenus un point d’appui pour les démocraties susceptibles de naître au sein du Maghreb et du Machreq.

Il va de soi qu’une telle politique ne va pas sans risques, mais où est le principal risque aujourd’hui : dans l’association de tout l’occident avec les puissances politiques richissimes, surarmées, qui ont écrasé leurs peuples de plus en plus misérables, ou dans l’accompagnement d’un mouvement politique gigantesque, historique, incompressible ? « L’immense aspiration qui parcourt le bassin méditerranéen », ne sera pas noyée dans le sang, sauf à dresser le monde entier contre les ultra violences de pouvoirs risquant de tuer, alors, autant leur propre crédibilité politique, qu’un grand nombre de manifestants parmi les foules dressée devant eux !



L’Union Pour la Méditerranée, inventée par Nicolas Sarkozy et ses conseils, est bien en peine de relayer la politique des USA parce que, contre toute attente, le gouvernement américain fait passer ses intérêts nationaux avant ceux des riches locaux ! L’UPM (sous laquelle se cachait mal l’UMP) avait pour objectif d’unir des intérêts économiques sans considération pour l’état démocratique des États associés. L’UPM, déjà mal portante, est politiquement morte.


Ne pourraient ressusciter, pour un temps, cette UPM moribonde, que des déclarations tonitruantes de solidarité avec les peuples en lutte. Qui peut croire en pareille éventualité ? Plus : d’autres peuples méditerranéens d’Europe pourraient bien se demander si le bon exemple n’est pas nord-africain et si les pays européens en état de sous développement, tels la Grèce et le Portugal, en attendant l’Italie, voire la France, n’auront pas à se lever pour échapper à des politiques ultra-libérales dont les plus modestes font toujours, très brutalement, les frais.

Le malheur infini de l’humanité est qu’il faille entrer en rébellion pour que la pauvreté devienne, de très loin en très loin, un acteur politique historique décisif. Les révoltes de la faim, comme en 1788, en France, portent en elles des révolutions, c’est-à-dire des bouleversements politiques majeurs mais, jusque-là, imprévisibles.


Que ce soit d’ex-pays colonisés (qui n’ont jamais fait partie de la France : la Tunisie, notamment, protectorat français, ne fut jamais la France, contrairement à ce qu’a dit Sarkozy, devant la presse, laquelle n’a pas relevé !), qui donnent des leçons de démocratie à l’Europe est, certes,… inattendu et humiliant, mais à qui la faute ? Qu’avons-nous appelé démocratie, ces dernières décennies ? De quoi nous sommes-nous contentés ? Nous avons laissé s’associer, notamment depuis 1989, sans même en douter, démocratie et capitalisme. Nous avons laissé glisser la démocratie vers la monocratie bardée d’oligarchies. Nous avons confondu la démocratie avec la désignation électorale pseudo-libre d’élites toutes préparées dans les cénacles des partis. Quand le peuple a parlé, on l’a sciemment confondu avec la populace. À la rue on a opposé les urnes, comme si les unes excluaient l’autre ! Autrement dit, on a émasculé la démocratie, on en a fait une caricature. Son dynamisme souverain, son pouvoir constituant ont été rangés bien au fond des armoires des musées républicains. Hier la démocratie n’était qu’un principe exalté, enseigné, et fort mal pris en compte, à présent, elle était devenue une « gouvernance » réaliste, sans principes autres que la reconnaissance du primat de l’individu, de l’élite, de la concurrence, de la réussite économique… Et bien, ce dérapage vers le cynisme politique pourrait bien s’achever plus tôt que prévu…


« L’impossible arrive» titre Le Monde diplomatique du mois de février 2011. Car une nouvelle ère s’ouvre. Elle prend à revers la mondialisation qui n’est plus une occidentalisation. L’occident a épuisé son modèle. Le changement n’est pas que dans les urnes ! Le monde se fait ailleurs que dans les pays du Nord. Est-ce un danger ou une chance pour l’Europe ? Selon que nous recevrons cet apport historique comme une relance de la démocratie ou une menace pour elle, nous nous réanimerons ou nous nous enfoncerons dans la stagnation.

Les politologues et intellectuels en vue font semblant de reconnaître l’importance de l’événement qui vient de survenir mais la plupart d’entre eux ne supportent pas que les alternances électorales puissent être remplacées par des alternatives politiques fondamentales. Que cet avenir reste imprévisible est insupportable aux faux démocrates qui ne savent se mouvoir que dans l’espace bordé par les institutions de la Ve République. Cependant, il est des espérances qu’il faut savoir capter, quand elles passent devant notre porte, car elles ne repasseront pas une seconde fois.



http://s1.choix-realite.org/wp-content/uploads/2011/01/preview/conflit-du-proche-orient.jpg


Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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