mardi 3 août 2010

Nul besoin d'être marxiste pour être anticapitaliste : abolissons les privilèges !

L'apport de Karl Marx à la pensée humaine ne saurait faire de nous des marxistes. Au reste, bien des marxistes n'avaient pas, ou guère, lu Marx !

Jean Jaurès n'était pas marxiste, lui qui proclamait que "le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage" (1). Cette parole, vieille de plus d'un siècle, n'a pas, hélas, perdu de son actualité. Nous sommes dans une guerre économique sans fin qui produit, ici, puis là, des guerres abominables, siècle après siècle plus meurtrières, au point que deux questions philosophiques se trouvent à nous posées : oser penser un monde sans guerre ne disqualifie-t-il pas toute affirmation politique de la part de celui qui s'éloigne, ainsi, du réel historique ? Et encore : quel sens a la vie humaine si elle est vouée à la mort non choisie de par la volonté de ceux qui en décident avec autant d'absurdité que de conviction?

Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914, trois jours avant l'ouverture des hostilités, dont le meurtrier Raoul Villain, fut... acquitté en 1919, n'avait pas pu empêcher la guerre la plus abjecte qui soit, dirigée par des généraux odieux et fous, et qui ont préparé par leur inconscience et l'humiliation du vaincu, en 1920, une guerre pire encore, si l'on peut dire, qui s'acheva par le recours à l'arme atomique, en 1945...

Fichier:Jean Jaures Café Croissant.jpg

Nous voici, 96 ans après la disparition de Jaurès, face à une évidence qui n'a rien de nouvelle et dont un homme cultivé ne sait que faire : le complexe militaro-industriel domine la planète et les États sont leurs marionnettes. Le retrait des USA de l'Irak, annoncé par Obama, n'est pas une victoire de la paix; c'est le début d'une reconnaissance : l'objectif politique et militaire de la plus grande puissance armée au monde n'a pas été atteint. Puissent les criminels humiliés, dont l'influence est immense, ne pas faire subir à Obama le sort de Jaurès.

En France, comment supprimer les privilèges en un nouveau 4 août qui ne se limiterait pas à remplacer des nobles par des bourgeois ? Comment "reproclamer" une République, le 4 septembre prochain qui soit une res publica, c'est-à-dire le triomphe de la chose publique sur les intérêts privés ?

imagerie   de  propagande

Non, il ne s'agit pas de retourner vers un communisme qui n'en fut pas un, vers un socialisme qui s'est souvent couché devant ce que Jaurès fustigeait lucidement, il s'agit de savoir si rien jamais ne permettra aux hommes de prendre leur propre destin en main. Le réalisme conduit-il à l'abandon puisque la force est toujours du même côté, celui de l'argent ?

Faut-il s'en remettre à la fatalité qui veut qu'aucun système économique ne soit pérenne ou qui nous révèle que les excès des puissants engendrent leur propre perte? La fin du capitalisme est-elle, de plus en plus visiblement, produite par le capitalisme lui-même ?

L'écosophie est une sagesse impitoyable. Y a-t-il un rapport entre la sécheresse incendiaire de la Russie et les inondations sans précédent du Pakistan ? Les effroyables perturbations climatiques, partout constatées, ont-elles, oui ou non, quelque chose à voir avec l'activité humaine et ne sommes-nous qu'au tout début d'une période où le réchauffement engendrera catastrophe sur catastrophe ? Les controverses scientifiques ne peuvent nous interdire de penser que la planète se porte mal et que nous ne tentons rien d'efficace pour qu'on y vive mieux. Au contraire, BP, fort de son expérience mexicaine, veut forer de nouveaux puits, en Méditerranée, au large de la Lybie. Errare humanum est, perseverare diabolicum disait Sénèque.

Étienne de la Boétie nous a, depuis des siècles, annoncé que nous étions coupables et complices de ce que nous subissons. Notre servitude est volontaire. La révolte et la rébellion, la désobéissance sont indispensables à la démocratie. Mais quelle révolte, quelle rébellion, quelle désobéissance ? Que les prolétaires s'unissent, soit, d'autant que prolétaires est un mot qui s'élargit à tous les non possédants, mais s'unir pour entrer dans des guerres et fausses révolutions perdues d'avance est non seulement inutile mais désespérant !

C'est un conflit culturel, économique, politique total dans lequel nous n'avons pas eu à entrer : on nous y a plongé. Marx ne l'avait pas prévu : "vivre simplement pour que simplement tous les hommes vivent" est radicalement anticapitaliste. Nous refusons un monde qui n'est plus humain. Le changement de civilisation qui s'opère, lent (trop lent à notre goût !), va nous conduire vers de nouveaux rivages historiques. Le moins serait, tout de même, que nous puissions y participer, y contribuer, en toute lucidité.




(1) En réalité, il a dit : "Tandis que tous les peuples et tous les gouvernements veulent la paix, malgré tous les congrès de la philanthropie internationale, la guerre peut naître toujours d’un hasard toujours possible… Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage. Messieurs, il n’y a qu’un moyen d’abolir la guerre entre les peuples, c’est abolir la guerre économique...", etc.
  • Jean Jaurès, 7 mars 1895, à la Chambre des communes, dans Jean Jaurès : Textes choisis, éd. sociales, paru en 1959, p. 88.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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