lundi 15 septembre 2008

Vous avez dit "laïcité positive"?



L’addition de ce qualificatif : positive, au mot laïcité laisse entendre que le concept ne se suffit pas à lui-même ou qu’il faudrait équilibrer par du positif ce que la laïcité aurait de… négatif.

En réalité, deux conceptions s’affrontent qui ne sont ni l’une ni l’autre proches de ce qu’est la laïcité (tout court). L’une consisterait à dire que la laïcité est anti-religieuse ou indifférente au phénomène religieux ; l’autre consiste à dire que toutes les religions ont leur place dans la conduite des affaires publiques. Deux erreurs parce que, d’une part, les citoyens qui se réclament d’une philosophie ou d’une religion sont des citoyens de plein droit, tout aussi laïques que les agnostiques et les athées et, d’autre part parce que l’influence d’une religion, quelle qu’elle soit, sur le pouvoir porte un nom très ancien : c’est le cléricalisme.

Derrière ce débat ouvert par le Président de la république française (c’est un comble!), il y a une volonté politique de récupération électorale équivalant à celle qui a si bien réussi avec la clientèle du front national, s’agissant du thème de l’immigration. Les catholiques sont censés voter majoritairement à droite et la laïcité, en Europe, fait toujours problème pour les démocrates-chrétiens qui ont des difficultés à admettre que la foi ne soit pas reconnue par l’État ! On cherche donc à les flatter. On leur laisse entr’apercevoir qu’à la mode anglo-saxonne, la Bible pourrait redevenir le Livre sur lequel peut être fondé le serment officiel de respect des Lois par les Chefs d’État. On confond alors, sciemment, habilement, laïcité et pluralité religieuse.

Certes la laïcité contient l’acceptation de la diversité de pensée et donc le respect des églises, temples, mosquées et synagogues et surtout de ceux qui les fréquentent. Mais cela n’est pas tout ! La laïcité, c’est aussi le respect par l’État de la liberté de conscience, celle-là même que l’Église catholique a mis beaucoup de temps à admettre ! Athées, agnostiques, déistes, et autres croyants dont la foi n’a rien en commun avec les religions du Livre ont, en France, toute leur place !

L’élargissement de l’espace public qu’occupent, depuis quelques dizaines d’années, les musulmans, dans notre pays, nous invite à préciser le contenu de la laïcité. L’ouverture de l’occident à la vaste Asie va nous faire découvrir d’autres approches de la compréhension du monde et déjà les bouddhistes constitueraient, par leur nombre, la quatrième religion en France.

De là à réduire la laïcité à n’être qu’une simple tolérance, il n’y a qu’un pas que ne peut franchir un Français, ayant une longue expérience de la vie en commun de citoyens « qui croient au ciel ou qui n’y croient pas ».

Deux affirmations sont à la racine de cette justification idéologique de la « laïcité positive ». L’une, que l’Église catholique contestera, avec raison, consiste à dire que « toutes les opinions se valent pourvu qu’elles soient sincères ». Le respect d’autrui ne vaut pas acceptation a priori de tout ce qu’il pense ! L’autre consiste à dire que tout ce qui échappe à la raison est sans valeur. L’homme ne peut renoncer à affirmer ce qu’il croit juste dès qu’il s’aperçoit que sa pensée achoppe sur le réel ! Le risque de l’acte de foi est un risque humain, un « pari » disait Pascal, qui peut permettre de tenter d’avancer dans la nuit du savoir. Autrement dit, le débat sur foi et raison que Benoît XVI, après son échec de Ratisbonne, va sans doute tenter de reprendre (c’est au cœur de son Pontificat) a bien à voir avec la réflexion sur la laïcité. Là où la divergence avec lui, comme avec Nicolas Sarkozy, risque d’éclater de nouveau, se situe, bien entendu, au cœur de la question des rapports entre le pouvoir et la religion. La laïcité n’est positive que lorsqu’elle met le citoyen, chaque citoyen, tout citoyen, tout habitant d’un pays, à l’abri de la ou des confession(s) dominante(s).

Curieux libéralisme que celui qui instaure ou ressuscite une religion d’État (de façon autoritaire ou masquée !). Le Christ est mort sur la croix d’infamie pour avoir bravé le pouvoir de l’Empire et celui des Grands Prêtres, associés ! Les chrétiens feraient bien de se le rappeler. Cela leur éviterait de passer pour des citoyens voulant bénéficier, de nouveau, des avantages que les anciens régimes avaient institués, avant (et même après) une certaine nuit du 4 août 1789 qui avait vu l’Ordre du Clergé abolir ses propres privilèges ! Il est vrai que c’était au temps de la Révolution française dont certains voudraient se débarrasser des acquis. La laïcité, qui en est née à la fin du XIXe siècle, a pourtant hérité de ces acquis sur lesquels reposent la démocratie et la République (mais pas ce qui en est dit actuellement et qui n’est souvent que caricatures !).

Le retour du cléricalisme à visage avenant, tout comme la survenue de l’idéologie autoritaire à discours habile ont, à l’évidence, parties liées. Ne nous laissons pas enfermer dans un affrontement trop bien mis en scène par les médias. Au-delà de la visite du pape en France, il y a une véritable menace politique : l’effacement progressif de la laïcité de l’État et de l’école. Aussi, soyons lucides. La laïcité au XXIe siècle, c’est à nous de la réinventer, pas à l’Église ni à un Président qui sert un culte, le culte du moi et dont, par conséquent, la pensée ne déborde guère du champ de ses intérêts.


Jean-Pierre Dacheux

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