lundi 21 juillet 2008

La France, poubelle nucléaire

France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle
(Du Bellay)

C'est fini.
Tu n'attires plus que la peur et la cupidité.




Extrait de l'article de Marie Vaton, Le Nouvel Observateur, 17 juillet 2008

"En France, les déchets produits par les centrales atomiques ne cessent de croître. Ils resteront parfois radioactifs des dizaines de millions d'années. Où les mettre ? Les mairies retenues font l'objet d'une cour assidue. 3115 communes ont été présélectionnées.

En ouvrant son courrier, il a cru à un gag. Quoi ? Donner à l'État ses terres, ses forêts, ses sites naturels protégés pour y enfouir des milliers de tonnes de déchets nucléaires ? Un mauvais canular. Hélas pour Gilles Desnouveaux, la lettre n'est pas un faux : Reynel, son petit village de 180 habitants perdu au coeur de la Champagne, a été désigné comme «zone géologiquement compatible» pour le stockage de déchets radioactifs. Et c'est à lui, le maire, de décider si sa commune veut ou non se porter candidate, en échange d'un «accompagnement financier». Gilles n'a pas réfléchi longtemps. Ce matin- là, son fils prenait son petit déjeuner avant de partir au lycée. «Il m'a regardé dans les yeux et m'a dit : «Papa, si tu fais ça, t'es plus mon père». J'ai pas hésité.» Le lendemain, il écrit au préfet, convoque son conseil municipal, appelle les autres maires de la région. Eux aussi ont reçu la missive. Tous refusent de devenir la «poubelle nucléaire» nationale.

Cela ressemble à une loterie. Comme Reynel, en Haute-Marne, 3 115 communes ont été présélectionnées par l'Andra (1) pour accueillir dans leur sol une décharge atomique. A l'heure de la relance mondiale de l'énergie atomique, du deuxième EPR promis par Nicolas Sarkozy, l'initiative embarrasse. L'énergie renouvelable tant vantée a une faille de taille : ses déchets. Depuis le démarrage du premier réacteur expérimental français, en 1949, ils s'accumulent, inexorablement : en quarante ans, nos 58 réacteurs ont produit plus d'un million de mètres cubes de déchets. En 2020, ils atteindront 2 millions. Une montagne d'ordures encombrante. Car les rebuts ont la vie dure : ils restent actifs pendant au moins trente ans, voire plusieurs dizaines de milliers d'années...

L'Andra a sur les bras 170 000 mètres cubes de déchets radifères et graphites dont elle ne sait que faire. Issus d'anciennes mines d'uranium et du démantèlement des premiers réacteurs français, ils sont pour l'instant entreposés sur d'anciens sites de production. En attente d'une solution plus pérenne. Mais les lieux manquent. A la Hague, le centre de stockage de la Manche est plein, saturé depuis 1994. Bure, dans la Meuse, aurait pu aussi convenir, mais le site n'existe pour l'instant qu'à l'état de laboratoire. Et pas question de les y entreposer en attendant : les antinucléaires veillent. Quant aux deux centres en activité, Soulaines et Morvilliers, dans l'Aube, ils sont conçus pour des déchets à vie courte, stockés en surface. Or les rebuts radifères de l'Andra ont la vie longue. Très longue : jusqu'à 200 000 ans d'activité ! Il faut donc les enterrer. Un nouveau site s'imposait. «Nous avons souhaité une démarche fondée sur le volontariat des collectivités, en toute transparence, se défend Marie-Claude Dupuis, la directrice de l'Andra. D'ailleurs, une dizaine de maires se sont déjà portés candidats.»

Qui sont les heureux élus ? Mystère. L'Andra refuse d'en dire plus. Mais l'affaire est juteuse pour les communes sélectionnées. L'agence a reçu une généreuse subvention pour aider au «développement harmonieux du territoire d'accueil» de l'ordre de plusieurs dizaines de millions d'euros par an, murmure-t-on.

En quelques années, les décharges nucléaires ont remplacé les anciens sites de fonderies le long des routes champenoises. Sur soixante kilomètres, les Déchetteries se succèdent : le terminal de l'Andra à Brienne-le-Château, le camp militaire de Perthes qui contient de l'uranium appauvri, les deux centres de stockage de l'Aube, Soulaines et Morvilliers, et enfin Bure, le fameux laboratoire géologique où est étudié l'enfouissement des déchets les plus dangereux à plus de 500 mètres de profondeur. «C'est la route de la honte !», râle Michel Marie, le fondateur du Cedra. Début juin, cet ambulancier retraité a rejoint un groupe d'une vingtaine de marcheurs originaires du monde entier qui sillonnent à pied la «route des déchets» : 1 500 kilomètres en deux mois et demi. Dans les villages qu'ils traversent, on leur ouvre les portes, on les encourage. «Ils pensent comme nous, mais ce ne sont pas des résistants, c'est pas dans leur nature», dit Michel. Ici, on n'a pas l'âme du Larzac. On respecte les décisions des notables. Surtout quand elles rapportent de l'argent.

«Tout le monde profite de l'électricité, mais on ne veut pas entendre parler des déchets !», regrette Francis Chastagner, directeur scientifique de l'Andra. Pourtant, d'immenses progrès ont été réalisés depuis cinquante ans. Après guerre, on ne s'embarrassait guère des colis gênants : on affrétait un cargo, et on jetait tout à la flotte. 40 000 fûts ont été ainsi immergés au large de l'Atlantique, de l'Espagne et de la Bretagne. Bien plus tard, dans les années 1980, les Etats-Unis avaient étudié la possibilité de les envoyer dans l'espace. Puis on envisagea de les déposer dans le désert. «C'est finalement l'enfouissement qui a été retenu par le Parlement comme la solution la plus acceptable pour tous», explique Monique Sené, physicienne nucléaire au CNRS. Une solution contestée par plusieurs experts. Car, en enterrant les déchets, on ne les voit plus. On les oublie. Et les erreurs du passé ne sont plus rattrapables.

Christian Keranaoet est un ancien ingénieur de l'Andra. En 1969, il a participé au premier centre de stockage de déchets nucléaires du monde, dans la Manche, juste en face du site de la Hague. «A l'époque, on ne maîtrisait pas les techniques comme maintenant, explique-t-il. Rien n'a été pensé : les fûts de déchets ont été posés à même le sol, juste au-dessus d'une nappe phréatique !», se désole-t-il. Lorsque le dernier colis est arrivé, en 1994, on a coulé du béton dans les alvéoles, posé une membrane de bitume au-dessus et recouvert le tout de plusieurs couches de terre. Aujourd'hui, le centre de la Manche ressemble à une jolie pelouse de golf. Mais sous les pieds, la pile de déchets empilés s'est peu à peu tassée. Par endroits, le terrain s'est affaissé d'une cinquantaine de centimètres, fissurant légèrement la membrane. Et on retrouve du tritium dans la rivière Sainte-Hélène en contrebas. «Rien de grave pour l'instant, rassure le directeur du site Jean-Pierre Vervialle, mais il faut rester vigilant.» Alors, pour éviter les mauvaises surprises, l'Autorité de Sûreté nucléaire a déclaré le site sous surveillance pendant plus de trois siècles ! Un héritage empoisonné légué aux générations futures. «On ne peut jamais prévoir ce que seront les évolutions d'un site, explique Yves Marignac, expert nucléaire. Faire un trou peut modifier la composition des couches géologiques, même extrêmement stables !» En Allemagne, 100 000 fûts radioactifs ont été stockés dans les années 1960 dans une mine de sel désaffectée, qu'on pensait imperméable depuis 70 millions d'années. Las, le sol a bougé, l'eau s'est infiltrée partout. Chaque jour, on doit pomper 12 mètres cubes d'eau contaminée. La nature est capricieuse.

(1) Agence nationale pour la Gestion des Déchets radioactifs.

http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2280/articles/a379907-.html
http://http://burestop.free.fr/sitebure.htm
http://perline.org/spip.php?article2


Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran

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