lundi 28 avril 2008

Il y a démocraties et démocratie



Il y a démocraties et démocratie. Et même démocratie et démocratie.

Il n’est que temps d’y voir clair, de tenter d’user de tout son bon sens !

L’actuel chef de l’État français a pu dire, devant les journalistes qui l’interrogeaient, la semaine passée, qu’il devait prendre une décision toutes les dix minutes, et que c’était donc inévitable qu’il se trompe, de temps en temps.

Une telle déclaration interpelle le citoyen conscient de sa responsabilité et de son rôle : où et comment s’exerce donc la démocratie ? Ce mot de démocratie qui franchit les lèvres de tous les responsables politiques, couramment et banalement, recouvre de fausses évidences.

Depuis le XIXe siècle, en effet, on appelle démocraties des États où la désignation des responsables politiques se fait, à échéances fixes, par l’intermédiaire d’élections organisées au suffrage universel. La démocratie qui prévaut, dans ces démocraties, est donc un système délégataire. Une fois effectuée la délégation, le représentant du peuple devient le peuple lui-même. Il peut décider. Au besoin, toutes les dix minutes… Sans avoir de comptes à rendre à quiconque avant l’élection suivante. Le contrôle, la rectification, la sanction des décisions politiques (et de ceux qui les ont prises) sont toujours reportées à plus tard. Et là s’ouvre une controverse.

Nous ne savons pas encore comment mettre en œuvre la formule, rabâchée et mensongère, de notre Constitution qui prétend que nous vivons dans un régime dont le principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple (article 2 du chapitre 1er : de la souveraineté). Du reste, l’article 3, aussitôt, corrige cette affirmation qui pourrait laisser à penser que la démocratie directe est envisageable : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants.

Cependant, nous ne vivons plus au XIXe siècle, ni même au XXe ! Les élus ne sont plus les porte-parole de masses incultes et parfois analphabètes ! Et pourtant, la remise du pouvoir à un seul, en France, au détriment même, notons-le, des représentants du peuple (qui n’exercent plus, dès lors, la souveraineté nationale !), n’a plus grand chose à voir avec la démocratie la plus traditionnelle, elle-même jetée au rebus !

Alors qu’il faudrait trouver les moyens de faire intervenir toujours plus les citoyens dans les décisions les concernant, et ce en permanence, pas seulement au moment de chaque élection, serions-nous rejetés en arrière, vers ces temps historiques révolus où la monarchie était indiscutable puisque de droit divin ?

Les démocrates vivent une période de l’histoire qui n’est pas la leur. Au moment où devrait s’engager un dialogue fécond entre mandants et mandataires, le Président de la République, (apparemment le principal mandataire dans le cadre de la République française), peut prendre des décisions, seul, toutes les dix minutes…, et l’avouer ! Ou bien on sourit devant pareille inconscience, ou bien l’on prend peur ! Quant aux milliers de mandataires en charge d’exercer, ici et là, la souveraineté du peuple, les voici coincés entre une absence de responsabilité et un trop plein de responsabilités. Qu’une énorme majorité de communes, départements et régions soient gérées par des opposants au Chef de l’État est sans aucune incidence sur la politique du pays : la partition s’écrit à l’Élysée, sa mise en musique se prépare à Matignon et l’orchestration au palais Bourbon. Ce qui se passe ailleurs, en France, est broutilles sans intérêt. Quant à ceux qui rêvent d’être vizir à la place du vizir, qui regardent avec gourmandise, vers le palais présidentiel, se rendent-ils bien compte que la démocratie n’a plus besoin de vizir ?

Comment sortir de cette contradiction dans la démocratie ? Qu’on admette que le peuple pèse sur les décisions par l’opinion qu’il exprime et que mesurent des enquêtes et sondages ne suffit pas ! Non seulement parce que la démocratie d’opinion est influençable, manipulable et détournable, mais parce que les officines qui ont la charge de sonder le peuple, sont, comme les grands médias, le plus souvent préorientées et font partie des outils du pouvoir en place. Les représentants des salariés que sont les syndicats, plus proches, par fonction, des intérêts de la grande masse des Français, souffrent de deux fragilités qui limitent leur capacité d’intervention. La première tient à l’abandon de leur volonté d’être associés à la définition d’une politique tant en Grande-Bretagne où les Trade-Unions ont coupé les ponts avec les Travaillistes du Labour Party, qu’en France où la CGT survit, avec difficulté, à l’agonie du parti communiste. La seconde tient à la lente décrue de l’influence du salariat dans le rapport des forces économiques.

Alors ? « Que faire » eut dit Lénine ? Il nous va falloir préparer des pratiques qui, d’une part, éloignent de la centralisation politique, autrement dit de « la monarchie républicaine », (avec tous les retentissements que cela engendre auprès d’innombrables potentats locaux jouissant pleinement leur rôle mineur de « petits Présidents ») et, d’autre part, développer des réseaux d’influences multiples où tous les dossiers d’intérêt général feront l’objet d’un co-examen avec les collectivités qui ont à en connaître.

Mais cela ne suffira pas encore. La démocratie n’est ni centralisable ni confiscable, mais elle a besoin d’organisation et d’organisations. La mise en réseaux ne signifie pas qu’on puisse pratiquer la démocratie par internet ! La rencontre de citoyens en chair et en os, pouvant échanger leurs pensées et débattre de leurs projets, est indispensable. Il vient à l’esprit, immédiatement, qu’il y a des partis politiques pour cela. Eh bien, là encore, cela ne suffit plus. Les partis sont trop centralisés, trop faibles en effectifs, trop habitués à accompagner la seule démocratie représentative, pour constituer le lieu unique ou principal du débat démocratique. De multiples cellules d’échanges, de partages et d’élaboration de la pensée politique sont nécessaires. Ce maillage, ce tissu, cette irrigation du corps social, peuvent seuls transformer la démocratie élitiste en… -mais peut-on oser l’écrire après les tragiques erreurs passées- une « démocratie populaire ».

S’exprimer ainsi prend à rebours ce qui est dit et pratiqué de la démocratie dans notre Occident libéral. La démocratie se fait haïr parce qu’elle devient la caricature d’elle-même : la forme politique obligée du capitalisme. Sauver la démocratie, c’est lui rendre une visibilité et un attrait, c’est donner la preuve que le peuple décide et qu’il n’est pas trompé. Quand la France ou l’Italie se donnent comme figures de proue des personnages qui savent si bien faire illusion, c’est le signe d’une dangereuse maladie : on choisit mal quand on n’a guère de choix, quand à peu près les mêmes politiques économiques prennent des visages différents. Si la démocratie ne s’empare pas de l’économie, si politique et économie se superposent, l’économique occupant la place du dessus, il n’y a plus de démocratie. Ceux qu’embarrasse la possibilité laissée au peuple de choisir une économie politique différente, se satisferont, bien sûr, de cette superposition qui couvre toute la politique des contraintes ou pseudos contraintes de l’économique. Quant à l’autre superposition, celle qui placerait l’économique en-dessous du politique, elle constitue, tout simplement, une révolution, un retournement du positionnement, ce dont peu de politiciens aux affaires peuvent se satisfaire tant seraient bousculés leurs repères, leurs habitudes, leur confort de pensée, et, disons-le, leurs avantages.

Alors qu’explose, se répand, parfois s’étale, dans la confusion, au cours de cette décennie, la thématique écologiste, il faut se saisir de cette opportunité. Si chaque citoyen est appelé à se pré-occuper de l’avenir de l’humanité, ce ne peut pas être pour s’en remettre, en tout, à ceux et celles qu’il élit. Il ne peut que travailler avec eux, ou sans eux, mais toujours au sein d’équipes, de Collectifs, de Groupes, d’associations qui trament le social et lui donnent armature, plasticité et consistance. Être élu pour être enfin efficace (du moins le croit-on) est une expression qui n’a plus de sens. L’élu est celui qui finalise ce qui s’est conçu parfois avec lui, parfois loin de lui, et qui va entrer dans un cadre fonctionnel. L’élection est un service. L’écologie politique, elle, a ceci de neuf qu’elle entraîne chaque citoyen dans la sphère de responsabilités qu’on laissait trop volontiers occuper par des politiciens quasi professionnels. La cogestion et l’autogestion sont donc de retour. C’est exactement le contraire de ce que préconise l’hôte de l’Élysée, avec constance, intelligence et énergie mais en vain. Ses choix sont ceux d’un autre monde, un monde impossible, insoutenable, d’où nous sortirions meurtris pour longtemps.

L’homme de l’anti-mai 68 vient de nous rendre, à nouveau, un grand service : il vient de révéler que le chef qui se trompe peut annoncer qu’il ne regrette que la forme qu’a prise l’erreur et pas sa cause. En France, en 2008, il serait impossible au peuple tout puissant (en droit) de changer quoi que ce soit (en fait) aux erreurs constatées et moins encore de rectifier l’erreur électorale qu’il a commise et qu’il regrette si visiblement. On peut en douter et le proche avenir pourrait bien le révéler.

Car reste, comme lieu de démocratie, ce qu’on appelle, un peu vite, « la rue » et qui est, plus noblement, l’espace public, la place publique, l’agora immense où devraient pouvoir se faire entendre et comprendre, sans violence, la protestation et les demandes de rectification politiques. L’enfermement de la politique dans des formes désuètes et inefficaces ne pourra pas durer éternellement. L’État, les partis, les médias tels que nous les connaissons, ne sont plus adaptés à la démocratie contemporaine. On peut attendre que cela devienne une évidence dramatique. Il vaudrait sans doute mieux que nous commencions, avec modestie et courage, des travaux pratiques de démocratie non seulement participative mais décisionnelle.

Jean-Pierre Dacheux

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